Enseignements de droit à l’ENS

Le cours d’Introduction au droit français recommence le mardi 17 septembre 2023 de 9h30 à 12h30 au 48 Boulevard Jourdan, salle R 2/02.

Il y a des documents word à la fin "Droit français" et autres que vous pouvez lire. Enfin, pour assouvir votre curiosité, un article plus théorique sur la notion d’ordre juridique par Jacques Chevallier, consultable sur https://extra.u-picardie.fr/outilscurapp/medias/revues/13/chevallier.pdf

Le cours de master "méthodologie du droit comparé" débutera le lundi 9 septembre de 9h à 12h30 au 48 boulevard Jourdan en salle R 2/02

Le séminaire d’histoire transnationale du droit aura lieu le vendredi matin de 10h30 à 12h30 à partir du 20 septembre 2024 à Jourdan

Quelques conseils pour un commentaire d’arrêt (d’après une fiche étudiants Dalloz complétée) :

"Il s’agit de rédiger ce que l’on appelle une " note de jurisprudence ". De telles notes sont publiées par les " arrêtistes ", entendez : les commentateurs d’arrêts, dans les grands recueils de jurisprudence (Recueil Dalloz, Semaine juridique, par exemple) à la suite des décisions rapportées. Le travail que vous avez à présenter diffère cependant quelque peu de celui des " arrêtistes ", car ceux-ci ont à commenter des décisions récentes, de telle sorte que leurs recherches, quant à la législation, à la jurisprudence et la doctrine, s’arrêtent nécessairement dans le temps à la décision annotée, tandis que l’on vous demande souvent de commenter un arrêt déjà ancien, de telle sorte que vous ne devez pas limiter vos recherches aux textes, aux décisions et études antérieures à cet arrêt" De plus, vous ne disposez pas, dans votre stock de connaissances, de tout ce qui est à la disposition d’un professionnel faisant une note de jurisprudence

"Explication et réflexion. Le commentaire d’arrêt a un double objet : l’explication de la décision : il faut, à ce stade, montrer que l’arrêt a été compris, ce qui suppose des connaissances approfondies, lesquelles doivent être confrontées avec les éléments spécifiques de la décision ; “ une réflexion sur la décision : après avoir démontré que vous avez compris la décision, il s’agit de montrer que vous savez réfléchir. Ainsi, en utilisant vos connaissances doctrinales et jurisprudentielles, il convient de mener une discussion en vue d’apprécier cette décision au regard du droit positif, d’en effectuer la critique, d’en mesurer les conséquences juridiques, sociales, politiques, économiques, morales, etc. Remarques

Il faut éviter : “ de faire une dissertation ; “ de paraphraser la décision ; “ les développements purement descriptifs et théoriques." "I.

Travail préparatoire Présentation de la décision à commenter. L’introduction du commentaire d’arrêt est soumise à quelques règles spécifiques. En guise de préliminaire, il importe de présenter la décision qui doit être commentée. À ce titre, il convient d’indiquer la nature de la juridiction qui l’a rendue, sa date et de situer en deux trois lignes la question juridique traitée. Puis, les faits de la cause doivent être exposés : ici non plus, il ne s’agit pas de reproduire servilement et fastidieusement le motif de la décision qui contient les faits en question. Par conséquent, il faut opérer une sélection : seuls, les faits utiles, c’est-à -dire ceux qui ont une influence sur la question posée aux juges et sur la solution que ceux-ci lui ont donnée, méritent les honneurs de l’introduction. Après l’exposé des faits, intervient nécessairement celui de la procédure. Précision et concision sont les deux impératifs qui doivent être respectés à ce stade de 1’introduction. Il ne saurait être question d’entamer l’explication de la décision ; il faut se limiter à indiquer comment les rôles de demandeur et de défendeur à l’instance ont été répartis pendant les différentes phases du procès, mentionner, brièvement mais précisément, les prétentions de chaque partie, préciser les juridictions qui ont rendu des décisions antérieurement à celle qui doit être commentée, les dates de ces décisions et le sens dans lequel elles ont été rendues.

À l’issue de ce rappel de la procédure, deux thèses doivent nécessairement apparaître quant à la solution à apporter à une même question, quant à l’interprétation d’une seule règle de droit. Aussi, si la décision à commenter est un arrêt de la Cour de cassation, les développements relatifs à la procédure doivent clairement faire apparaître l’opposition entre le raisonnement des juges du fond d’une part, et celui du demandeur au pourvoi, d’autre part."

(Même chose pour un arrêt du Conseil d’Etat : recours pour excès de pouvoir ou plein contentieux, premier ressort, appel ou cassation, qualités du demandeur, décision contestée) "II est temps, alors, d’exposer clairement la question de droit que la décision commentée a tranchée. Il s’agit là d’une étape déterminante non seulement de l’introduction, mais aussi du commentaire. Le correcteur, à la lecture des lignes consacrées à l’exposé de la question de droit pourra immédiatement constater si, oui ou non, vous avez bien compris la décision que vous prétendez commenter. Il faut, en effet, bien comprendre que toute la difficulté de cet exercice spécifique qu’est le commentaire d’arrêt réside, outre l’explication de la décision et la réflexion que celle-ci vous inspire, dans la découverte de la question qui a été tranchée. Si vous vous trompez sur cette question de droit, si vous ne réussissez pas à l’identifier ou si vous l’exposez de manière imprécise ou confuse, il ne fait guère de doute que votre commentaire sera voué à l’échec. Aussi, faut-il apporter un grand soin et une particulière attention à cette étape de l’introduction. Une fois franchie, l’étape en question doit être suivie de l’exposé de la solution que la décision commentée a apporté à la question de droit. Exceptionnellement, notamment s’il s’agit d’un arrêt de principe, il n’est pas interdit d’ouvrir les guillemets et de reproduire le motif de la décision dans lequel cette solution est donnée. L’introduction se termine par l’annonce du plan des développements qui vont suivre. Sens, valeur, portée. Enfin, le commentaire d’arrêt suppose la confection d’un plan.

Quant au fond, on signalera que, pour l’essentiel, commenter un arrêt consiste à  : “ en expliquer le sens : il s’agit de faire “oeuvre pédagogique, d’expliquer le raisonnement de la juridiction qui a rendu la décision, d’expliciter la façon dont elle a interprété la règle de droit pour trancher la question qui lui était posée. Pour convenablement se prononcer sur le sens d’une décision de justice, il est clair que de solides connaissances théoriques sont indispensables car elles permettent de comprendre et donc, d’expliquer une décision qui, par hypothèse, porte sur un point précis du cours ; (Ne pas hésiter à donner une définition des termes juridique employés dans l’arrêt pour montre que vous en comprenez le sens)“ en apprécier la valeur : il s’agit en quelque sorte de " juger les juges ".

Cet examen critique de la décision suppose, lui aussi, des connaissances approfondies qui doivent conduire à émettre un jugement de valeur sur l’interprétation de la règle de droit qui a été retenue par la juridiction dont la décision est commentée. Ce qui nécessite une culture juridique suffisamment maîtrisée pour connaître les opinions doctrinales qui ont été émises à propos de la question de droit tranchée par la décision et de la solution rendue par cette dernière. Dans ces développements, dans lesquels l’accent est mis sur la réflexion, il convient de réfléchir sur la rectitude juridique de la décision, sur sa cohérence logique, sur sa conformité au droit positif, à l’équité, à la morale, à l’idée de justice et aux impératifs économiques et sociaux ;

“ en étudier la portée : il s’agit de rechercher son influence sur l’évolution postérieure du droit positif. En fait, cette partie du commentaire diffère sensiblement selon la date à laquelle a été rendue la décision en question. Si il s’agit d’une décision déjà ancienne, il convient, non seulement de rappeler les solutions jurisprudentielles qui lui étaient antérieures, mais encore de retracer l’évolution qui s’est, postérieurement, dessinée. Au fond, l’exercice ne présente guère de difficultés, si ce n’est un sérieux effort de mémoire que la consultation des Codes pourra simplifier. En revanche, si l’arrêt est récent, la réflexion sur la portée de la décision rendue est autrement plus délicate. Il faut alors se risquer à un pronostic et essayer de prévoir les conséquences de cette décision sur le droit positif. En particulier, il importe de rechercher si la décision est de principe, et en tant que telle énonce une règle générale et abstraite susceptible d’être étendue aux espèces futures portant sur la même question juridique, ou bien si il s’agit simplement d’une décision d’espèce dont la solution s’explique, pour l’essentiel, par la spécificité des faits de la cause et qui n’est donc promise à aucun avenir jurisprudentiel. Pour résumer : Le travail préparatoire qui constitue l’introduction et votre commentaire doit comporter cinq éléments : 1. Un rappel chronologique des faits. 2. Un rappel chronologique de la procédure en énonçant à chaque stade de la procédure (première instance, appel, cassation), l’objet de la demande (ou requête) et la solution retenue tout en précisant les arguments avancés par chaque juridiction. 3. Un rappel des prétentions soutenues par les plaideurs. 4. Une reformulation en termes juridiques du problème de droit soulevé par l’arrêt (décision). 5. La solution retenue par l’arrêt (décision) au problème de droit soulevé. II. Conception du plan Simplicité du plan pour commentaire spécifique. Dans un commentaire d’arrêt, il est préférable de ne pas rechercher dans le plan trop d’originalité : il faut un plan très simple. La simplicité, en ce domaine, épouse souvent mais pas nécessairement, la forme binaire. Un plan en deux parties, comportant chacune deux sous-parties, est donc conseillé sans qu’il soit question de l’imposer. Il n’existe pas en matière de commentaire d’arrêt de plan type. En exagérant à peine, il est concevable d’affirmer que chaque arrêt suppose un plan de commentaire spécifique."

 

 

Première séance, 17 septembre 2024

L’ordre judiciaire

Le critère de la « justiciabilité » ayant été avancé comme un moyen de définir le droit, la première approche de l’ordre juridique français ne peut négliger l’organisation judiciaire, même si tout n’est pas contentieux dans le droit. Une des spécificités du droit français réside dans la dualité juridictionnelle et dans la spécificité du Conseil constitutionnel.

Les juridictions judiciaires (tribunaux et Cours) peuvent être classées en juridictions civiles et pénales (notion d’infraction, ministère public, dénonciation, plainte, partie civile). Chaque classification est discutable et il faut prendre garde à la masse statistique des contentieux (importance apparente des millions d’amendes forfaitaires majorées non contradictoires ; 700 000 décisions pénales et 1,8 millions de décisions civiles en 2022).

Le CSM n’est plus présidé par le Président de la République depuis 2008/2011. Formation compétente magistrats du siège (proposition pour les magistrats supérieurs, avis conforme sur les propositions du ministre de la Justice pour les autres) : le Premier, 6 magistrats élus, 1 conseiller d’État élu, un avocat et 6 personnalités qualifiées. Formation magistrats du parquet : le PG Cour de cassation, 6 magistrats élus, 8 non-magistrats.

En application de la loi du 23 mars 2019 (LPJ), les tribunaux de grande instance (TGI) et les tribunaux d’instance (TI) ont été fusionnés au 1er janvier 2020. Il y a désormais 164 tribunaux judiciaires (villes où siégeaient un TGI et un TI) : juridiction de droit commun pour les affaires personnelles et mobilières au-dessus de 10 000 €, l’état des personnes, la propriété immobilière, les brevets, les grèves, 1,4 million décisions, 1 ou 3 juges, le président est juge des référés (procédure d’urgence 105 000 décisions). Des juges du contentieux de la protection (JCP) décident des affaires de surendettement, de crédit à la consommation, de bail d’habitation, de protection des majeurs, d’expulsion. 125 tribunaux de proximité ont été maintenus (possibilité de juger jusqu’à 10 000 €).

Les juges de police, les tribunaux correctionnels, les juges d’instruction et les juges aux affaires familiales leur sont rattachés au Tribunal judiciaire. Le tribunal de police juge les contraventions des 5 classes jusqu’à 1500 €, 3000 € si récidive (53 000 jugements pour les 4 classes). Le tribunal correctionnel juge les délits (avec des peines d’amende supérieures à 3500 € et/ou de l’emprisonnement jusqu’à 10 ans, 580 000 décisions) à 1 ou 3 juges (essai 3 citoyens assesseurs, loi 2011, abandon). Les juges d’instruction instruisent les crimes et les délits complexes et les juges des libertés et de la détention décident de la détention provisoire (loi du 15 juin 2000). Les juges des enfants et les 155 tribunaux pour enfants (avec 2 assesseurs non-professionnels) décident des mesures d’assistance éducative et de protection des mineurs en danger, prononcent en chambre du conseil des mesures de placement (pour contraventions de 5e classe et délits) ou prononcent (en formation de tribunal) les peines applicables aux mineurs (sanctions éducatives, prison ou centres éducatifs fermés à partir de 13 ans, peines réduites de moitié sauf exceptions) ayant commis des contraventions, des délits ou des crimes (pour les mineurs de 16 à 18 ans Cour d’assises des mineurs) : 56 000 décisions pour mineurs.

Les tribunaux de commerce (134 au lieu de 185 avant 2009) jugent les conflits entre commerçants ou des sociétés relatifs à des actes de commerce, les « faillites ». Ils sont composés de juges élus pour 4 ans. Réforme enterrée en 2002. 109 000 décisions.

Les conseils de prud’hommes (211 au lieu de 271 avant 2008) jugent les litiges individuels du travail. Les juges désignés en 5 sections, siègent de manière paritaire en bureau de conciliation (au moins 2) ou de jugement (au moins 4), 113 000 décisions.

Les 272 tribunaux paritaires des baux ruraux sont des juridictions d’échevinage sous la présidence d’un juge.

Les Cours d’assises sont composées de 3 magistrats et 6 jurés (9 en appel) tirés au sort. Elles jugent des crimes (réclusion de 10 ans à la perpétuité) avec les tribunaux criminels.

Les Cours d’assises sans jurés, plus de tribunal aux armées, la Cour de Justice de la Rép.

Les Cours d’appel (36) sont divisées en chambres civiles, commerciales, sociales et de l’instruction (depuis 2000), le délai d’appel est de 10 jours au pénal, 1 mois au civil.

La Cour de cassation est composée de 6 chambres siégeant avec au minimum 3 (procédure de non-admission des pourvois depuis 2002) ou 5 conseillers, l’Assemblée plénière est composée de 19 membres (Premier, présidents, doyens, membres des ch.)

Pas d’effet suspensif du pourvoi en matière civile, oui en matière pénale, sauf mandat

Ouvertures à cassation : violation de la loi, des formes de procédure, défaut de base légale, excès de pouvoir ; renvoi après cassation et deuxième pourvoi en Ass. plén.

Motivation avec des attendus, visa, attendu de principe, style laconique (réforme 2019)

La question de la jurisprudence : art. 4 et 5 CC, référé législatif jusqu’à la loi de 1837

Abstention du législateur, coutume, habilitation du législateur, jurisprudence législative ?

Normes individuelles et normes générales créées par les juges.

Deuxième séance, 24 septembre 2024

La justice administrative

La dualité juridictionnelle se fonde en France sur le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, consacré par les textes révolutionnaires _ loi des 16-24 août 1790, titre II, article 13 et décret du 16 fructidor an III _ toujours cités par le Conseil d’État. Celui-ci a été créé, en tant que juridiction administrative (pour « résoudre les difficultés qui s’élèvent en matière administrative ») par la constitution de l’an VIII, en même temps qu’étaient établis les conseils de préfecture (devenus tribunaux administratifs en 1953). La loi du 24 mai 1872 a marqué le passage du système de la justice retenue à celui de la justice déléguée, le Conseil d’État statuant souverainement sur les recours administratifs. Bien que ne faisant pas l’objet d’une disposition expresse de la constitution de 1958, la dualité juridictionnelle a été consacrée par les décisions du Conseil constitutionnel de 1980 « validation d’actes administratifs » (plaçant des limites, contestées par la décision de la CEDH 1999, Zielinski et Pradal c. France, à cette procédure protégeant par une loi des actes administratifs irréguliers) et 1987 « conseil de la concurrence » (dégageant un noyau dur de la justice administrative autour de l’annulation ou de la réformation d’actes de la puissance publique pris par des autorités administratives). L’article 61-1 (2008) de la constitution et la position du CE.

L’organisation de la justice administrative connaît trois niveaux de juridictions :

Les tribunaux administratifs au nombre de 31 en métropole, 11 outre-mer auxquels sont affectés plus de 1000 magistrats du corps des TA et CAA (sortis de l’INSP + concours)

Ils connaissent aujourd’hui plus de 240 000 affaires par an (dont à juge unique)

Les Cours administratives d’appel, au nombre de 9, regroupent environ 150 magistrats du corps des TA et CAA et connaissent plus de 32 000 affaires par an.

Le Conseil d’État, présidence assurée par le vice-président (art. L. 121-1 du Code de la justice administrative, 2000), 360 membres en activité au sein du corps, environ 230 en activité au Conseil, fonctionnaires de droit commun (pouvoir disciplinaire attribué au Président de la République et au vice-président CE), conseillers d’État (avancement, tour extérieur, nomination à partir du corps des juges administratifs), maîtres des requêtes (mêmes modes de recrutement), 15 auditeurs (recrutement par un comité depuis 2021).

Cinq sections administratives (de l’administration en 2008), du rapport et des études ;

Section du contentieux qui a rendu environ 9 700 décisions en 2023, 10 chambres (à la place des sous-sections depuis 2016).

Instruction par une chambre (rapporteur, révision par un conseiller, discussion)

L’institution du commissaire du gouvernement devenu « rapporteur public » (1/02/2009)

Présentation de conclusions à la clôture des débats, participation au délibéré

CEDH 2001 Kress ; 2005, Loyen ; 2006 Martinie c. France  ; décret du 1er août 2006, ne participe plus au délibéré, sauf au CE (sauf demande contraire d’une partie)

Section du contentieux (président, 3 présidents-adjoints, 10 pdts chambres, rapporteur)

Assemblée du contentieux (vice-pdt, 7 pdts sections, 3 pdts adjoints, 5 chambres, ra.)

Compétence en premier ressort (rep contre les décrets du Président de la République et du Premier Ministre, acte non contractuel dont le champ d’application s’étend au-delà du ressort d’un TA), en appel (des TA pour les élections municipales et départementales), en cassation (CAA, juridictions financières, Cour nationale du droit d’asile)

Règlements des conflits de compétence : conflit positif élevé par le préfet (déclinatoire de compétence, rejet par la juridiction judiciaire, transmission au Garde des sceaux en vue de la saisine du Tribunal des conflits) ou conflit négatif (double déclaration d’incompétence, recours automatique devant le Tribunal des conflits)

Tribunal des conflits avec 8 membres, 4 conseillers d’État et 4 conseillers à la Cour de cassation élus, réforme de la loi du 16 février 2015 en cas de partage des voix

Recours gracieux, hiérarchique, contentieux : intérêt à agir, décision préalable (sauf en matière de travaux publics), délai de droit commun de 2 mois à compter de la publicité

Procédures de référé (suspension, liberté, autres) selon la loi du 20 juin 2000

Recours pour excès de pouvoir (contre toute décision unilatérale, même sans texte selon CE 1950 Lamotte, pour assurer le respect de la légalité, dispensé du ministère d’avocat)

Incompétence, irrégularité de procédure, vice de forme (externe), absence de fondement juridique, erreur de droit, erreur (de qualification) des faits, détournement de pouvoir (interne, les requérants sont invités à utiliser les deux, limites des moyens d’office)

Contentieux de pleine juridiction (recours contre un acte pour la reconnaissance de droits subjectifs, l’obtention de dommages-intérêts ou le droit au maintien d’un contrat ; juge qui peut substituer sa propre décision ou annuler la décision litigieuse)

Contentieux de la répression (contraventions de grande voirie, discipline)

Troisième séance, 1er octobre 2024

La révision constitutionnelle - Le Conseil constitutionnel

Selon la distinction faite par Kelsen entre « constitution matérielle » (l’ensemble des règles présidant à la production des lois) et « constitution formelle » (l’existence d’une distinction entre lois constitutionnelles et lois ordinaires »), les mécanismes de la révision sont le propre d’une constitution formelle, ce qui l’identifie et en détermine un caractère. L’article 89 de la Constitution de 1958 (dernier du texte constitutionnel depuis la révision de 1995) déroule les différentes étapes de la procédure de révision : proposition de loi constitutionnelle (émanant de membres du Parlement, aucune n’a abouti à ce jour) ou projet de loi constitutionnelle (du président de la République sur proposition du Premier ministre, ce qui est important en cas de cohabitation) ; vote en termes identiques par les deux Assemblées, ce qui neutralise l’article 45 de la constitution et donne un pouvoir considérable (un véritable veto) au Sénat ; choix du président de la République de poursuivre (ou non ?) la révision et d’opter pour l’une des deux procédures, celle du référendum ou celle du Congrès. La voie du référendum est indiquée en premier, même si elle n’a été utilisée qu’une fois en 2000 (sans compter le référendum « direct » de 1962) contre 22 lois pour le Congrès ; introduite par une formule restrictive (« toutefois ») la voie du Congrès réunit les deux assemblées (les 577 députés et les 343 sénateurs) et nécessite les trois cinquièmes des suffrages exprimés (abstentions, bulletins blancs et nuls ne comptent pas). Interdiction de toute procédure de révision « lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire » (leçon de la révision de juillet 1940) ; « La forme républicaine du gouvernement ne peut faire l’objet d’une révision », forme française depuis 1884 de la « clause d’éternité » (constitution du Delaware en 1776, de la République Helvétique en 1798, de la Norvège en 1814 et de la Loi fondamentale allemande).

Après seulement 4 révisions de 1960 à 1976 (la plus importante est celle de 1974 sur la saisine du Conseil constitutionnel) le rythme des révisions s’est accéléré depuis les années 1990 (rapprochant la France d’autres démocraties) : révision de juin 1992 liée au traité de Maastricht (art. 88-1 à 88-4 de la constitution) ; révision de juillet 1993, sur le CSM et la Cour de justice de la République ; révision de novembre 1993 sur le droit d’asile (« validation constitutionnelle ») ; loi du 4 août 1995, référendum, session parlementaire unique, abrogation d’art. caducs ; loi du 22 février 1996 (loi de financement de la Sécurité sociale) ; loi du 20 juillet 1998, statut de la Nouvelle-Calédonie ; loi du 25 janvier 1999, liée à la ratification du traité d’Amsterdam ; 2 lois du 8 juillet 1999 (parité et Cour pénale internationale) ; 2 lois des 25 et 28 mars 2003 (décentralisation, mandat européen) ; loi du 1er mars 2005 (projet de constitution européenne) ; loi du 1er mars 2005 (Charte de l’environnement) ; 3 lois du 23 février 2007 (statut pénal du chef de l’État, manquement ses devoirs, majorité des deux tiers, Haute Cour, abolition de la peine de mort, Nouvelle-Calédonie) ; loi du 4 février 2008 liée au traité de Lisbonne ; la révision du 23 juillet 2008 (acquise par deux voix, 538 quand il en fallait 537) est celle qui a le plus d’ampleur, affectant les articles 1 (accès des femmes aux responsabilités professionnelles et sociales), 4 (garantie de l’expression pluraliste des opinions), 11 (référendum à l’initiative d’1/5 des membres du Parlement soutenue par 1/10 du corps électoral), 13 (vote négatif des 3/5 d’une commission parlementaire sur des nominations présidentielles), 16 (saisine du Conseil constitutionnel à 30 et 60 jours), 18 (déclaration du Président devant le Congrès), 24-25 (composition du Parlement), 35 (intervention des forces armées à l’étranger), 39 (ordre du jour), 49-3 (adoption sauf motion de censure, loi de finances, Sécurité sociale, un texte supp. par session), 65 (CSM), 88-5 (motion adoptée par une majorité des 3/5 de chaque assemblée). Loi du 8 mars 2024 sur la liberté garantie à la femme d’avoir recours à l’IVG.

Le Conseil constitutionnel a été créé en 1958 pour contrôler la régularité des élections législatives, présidentielles, des référendums et la « conformité » des lois votées et non promulguées (contrôle a priori, abstrait, concentré) à la constitution (et au « bloc de constitutionnalité » depuis la décision du 16 juillet 1971). En dehors des cas de saisine automatique (lois organiques, règlements des assemblées), il est saisi depuis 1974 exclusivement par un des 3 présidents, 60 députés ou 60 sénateurs. L’ordonnance du 7 novembre 1958 détermine son mode de fonctionnement qui s’est progressivement « judiciarisé » (publication des lettres de saisine en 1986, des observations du Gouvernement et des mémoires en défense de la loi en 1994). La révision de 2008 (article 61-1) a créé la Question Prioritaire de Constitutionnalité introduite devant une juridiction judiciaire ou administrative qui doit décider de surseoir à statuer et de transmettre à la Cour de cassation ou au Conseil d’État. Ceux-ci, à leur tour, filtrent la QPC dans les 3 mois (loi organique du 10 décembre 2009, le CC a trois mois de délai).

 

Quatrième séance, 8 octobre 2024

La hiérarchie des normes en France – Vue schématique

L’expression « hiérarchie des normes » est liée à l’œuvre du théoricien du droit autrichien Hans Kelsen (1881-1973, Théorie pure du droit, éditions de 1934 et 1960) ; elle a été reprise récemment par la doctrine française (en liaison avec l’essor du contrôle de constitutionnalité depuis DC 71-44, 16 juillet 1971) et par des arrêts du Conseil d’État. 

Le bloc de constitutionnalité (commode pour désigner les normes constitutionnelles)

La constitution du 4 octobre 1958, son préambule (attachement aux droits de l’homme…)

La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et ses 17 articles

Le Préambule de 1946 et ses dix-huit alinéas

La Charte de l’Environnement de 2004 et ses 10 articles (« principe de précaution »)

Les Principes Fondamentaux Reconnus par les Lois de la République :

1) Liberté d’association (CC 1971 et CE 1956 Amicale des Annamites de Paris)

2) Droits de la défense (CC 1976)

3) Liberté de l’enseignement (CC 1977)

4) Indépendance de la juridiction administrative (CC 1980)

5) Indépendance des professeurs d’université (CC 1984)

6) Compétence des juridictions administratives (CC 1987)

7) Autorité judiciaire garante de la propriété privée immobilière (CC 1989)

8) Extradition interdite dans un but politique (CE 1996 Koné)

9) Justice pénale des mineurs (CC 2002)

10) Spécificité du droit d’Alsace-Moselle (QPC 2011)

Des principes constitutionnels tirés des textes liés au préambule (comme la dignité ou la protection de la vie privée), il faut distinguer les « objectifs à valeur constitutionnelle » (comme le droit à un logement décent, 1995-1998 ou l’accès au droit, 1999).

Les normes internationales

L’article 55 de la constitution donne aux traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés une autorité supérieure à celle des lois. Suite à la DC de 1975 sur l’IVG, la Cour de cassation (Ch. Mixte, 24 mai 1975, Cafés Jacques Vabre), puis le Conseil d’Etat (20 octobre 1989, Nicolo) ont recouru au « contrôle de conventionnalité » pour écarter une loi française contraire à une norme internationale introduite dans le droit français (droit de l’Union européenne primaire et dérivé, Convention européenne des droits de l’homme, pactes de l’ONU de 1966, diverses conventions).

La jurisprudence refuse le principe de la supériorité des normes internationales par rapport à la constitution (CE 1996, Koné ; CE 1998, Sarran et Levacher ; Cass. Ass. plén. 2 juin 2000), tout en se montrant parfois nuancée (CE 1999, Groupement de défense des porteurs de titres russes sur le principe d’égalité).

 

Les normes législatives (rappel CE 1936, Arrighi et la théorie de la loi-écran)

Il s’agit des lois ordinaires (dont le domaine est déterminé par l’article 34 de la constitution), avec les mécanismes de déqualification de l’article 37.2 et de contrôle de l’article 41 (peu pratiqué, 82-143 DC Blocage des prix ne prohibant pas les immixtions du législateur dans le domaine réglementaire), des lois organiques (art. 46), des ordonnances (de l’ancien article 92, de l’article 38 si elles sont ratifiées, sinon elles peuvent conserver le statut d’actes administratifs) et des mesures de l’article 16 (CE 1962, Rubin de Servens, ajout en 2008 d’une intervention du CC au bout de 30 ou 60 j.)

Les principes généraux du droit (des normes jurisprudentielles)

Résultant de la jurisprudence du CE (depuis CE 1945 Aramu sur les droits de la défense, puis CE 1950 Lamotte sur le droit au recours, CE 1954 Barel sur l’égal accès aux emplois publics, CE 1958 Syndicat des propriétaires de forêts de chênes-lièges d’Algérie sur l’égalité devant les charges publiques, CE 1978 Gisti sur le développement de la famille, CE 1994 Milhaud et CE 1995 Commune de Morsang-sur-Orge sur la dignité de la personne humaine, CE 1998 Cornette de Saint-Cyr sur la liberté contractuelle), ils ont une valeur « infra-législative et supra-décrétale » (sauf à se confondre avec les principes constitutionnels comme la continuité des services publics, CC 1979).

Les règlements

Ils émanent du pouvoir réglementaire reconnu à différentes autorités (le président de la République et le Premier Ministre peuvent également prendre des décrets individuels). En tant qu’actes administratifs, ils relèvent (à l’exception des quelques « actes de gouvernement ») du contrôle de la juridiction administrative par le rep.

Certains décrets sont délibérés en Conseil des ministres (art. 13, il n’y a pas de liste préétablie selon CE 1992 Meyet) et signés par le président de la République, d’autres par le Premier Ministre (art. 21, direction du Gouvernement et politique de la Nation, art. 20).

Les arrêtés ministériels sont pris sur délégation du Premier Ministre. Les arrêtés préfectoraux et municipaux par les préfets et les maires dans l’exercice de leurs compétences. Certaines autorités administratives indépendantes (CNIL, AMF, ART, Conseil de la concurrence) peuvent prendre des règlements. 

Cinquième séance, 15 octobre 2024

Le juge administratif et les ordres juridiques européens

Nul ne conteste aujourd’hui l’importance des normes juridiques européennes en France. L’opinion publique connaît moins l’existence de deux ordres juridiques européens : celui de l’Union européenne et celui du Conseil de l’Europe (convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales), tous les deux intégrés au droit français en vertu de l’article 55 de la constitution de 1958 (au-dessus des lois).

Le droit de l’Union européenne

Il est formé d’un droit primaire (celui des traités) et d’un droit dérivé (en évolution).

Depuis les traités de Maastricht, d’Amsterdam, de Nice et de Lisbonne, le droit primaire est constitué de deux textes : le TUE (55 articles) et le TCE/TFUE (358 articles). Le premier donne à l’Union un cadre institutionnel unifié (Conseil des ministres de l’Union européenne avec une présidence tournante, Conseil européen avec un Président élu, Commission, Parlement, CJUE), le second encadre les politiques communes (acquis communautaire, 2e et 3e piliers de Maastricht, espace de liberté, de sécurité et de justice, politique étrangère et de sécurité commune avec désormais un Haut Représentant).

La Charte des droits fondamentaux de l’Union a même valeur que les traités (art. 6).

Le droit dérivé est constitué de règlements, directives et décisions ; toutes ces normes sont d’application immédiate, certaines ont un effet direct (à l’égard des citoyens).

La CJUE juge des recours en annulation, en carence, en réparation, en manquement et répond (cas le plus fréquent) aux questions préjudicielles en interprétation des traités.

Le Tribunal de première instance juge des recours des personnes morales. Il y a eu un tribunal spécifique pour la fonction publique (2004-2016). La CJUE a développé sa jurisprudence sur la base du principe de « primauté du droit communautaire » depuis les arrêts Van Gend en Loos (1963), Costa c. Enel (1964) et Simmenthal (1978, même loi postérieure). Elle a également reconnu l’effet direct aux directives non transposées dans le délai prescrit (CJCE 1974 Van Duyn ; 1991 Francovich et Mme Bonifaci). A titre d’exemple, la France, qui a mis 13 ans à transposer la directive sur la responsabilité des produits défectueux (1985-1998) a été condamnée deux fois par la CJCE (1990 et 2002). Plus généralement la responsabilité de l’État peut être engagée devant le juge européen pour violation du droit communautaire (30 septembre 2003, Köbler c. Autriche).

Le droit de la CEDH

Il émane du Conseil de l’Europe (46 États) et du traité CEDH, signé à Rome en 1950 et complété par des protocoles (dont le protocole 11 en 1994 et protocole 14, ratifié 2006).

La France a ratifié la CEDH en 1974 et admis le recours individuel depuis 1981. L’action suppose l’épuisement des voies de recours internes et peut conduire à la condamnation de l’État ayant violé la convention. La loi du 15 juin 2000 a institué une procédure pour en tirer les conséquences sur des condamnations pénales en France. La jurisprudence évolutive de la Cour de Strasbourg est caractérisée par l’autonomie des notions utilisées (civil/pénal/administratif, marge nationale d’appréciation). La France a été condamnée à de très nombreuses reprises sur le fondement de l’art. 6 (Brusco, 14 octobre 2010).

Jurisprudence administrative et droits européens

Le Conseil d’État s’est montré longtemps réticent à l’égard du recours préjudiciel (art. 177/ 234/267) et à la supériorité de la norme internationale sur la loi française postérieure. Cette jurisprudence a été révolutionnée par les arrêts Nicolo  (1989), Boisdet (1990) et SA Rothman (1992) qui ont admis la primauté des normes internationales.

Le Conseil d’État en a tiré une obligation pour le pouvoir réglementaire de modifier les dispositions du droit français contraires au droit européen : CE 1989, Alitalia. Dans l’arrêt Association ornithologique et mammalogique de Saône-et-Loire (1999), où il s’agissait d’un recours contre excès de pouvoir dirigé contre une décision de refus du Premier ministre de saisir le Conseil constitutionnel pour déclasser (et ensuite modifier par décret) des dispositions d’une loi de 1994 sur la chasse (contraire aux objectifs d’une directive interprétée par la CJCE), la juridiction administrative a estimé que les « exigences inhérentes à la hiérarchie des normes ainsi qu’à l’obligation pour les autorités nationales d’assurer l’application du droit communautaire » obligeaient le Premier ministre à tirer les conséquences de cette contrariété avec le droit européen.

Tout en se montrant réservé sur l’effet direct des directives non transposées (1978, Cohn-Bendit ; 91 Palazzi, évolution avec 2009, Mme Perreux), le Conseil d’État fait un large usage des normes européennes, notamment des articles de la CEDH (CE 98, Lorenzi  ; 2002, Magiera ; environ 40 % des arrêts citant la CEDH). Cela n’empêche pas des divergences avec la jurisprudence de la Cour de Strasbourg (sur le rôle des commissaires du Gouvernement, le contentieux des étrangers, Beldjoudi 91-92 ou des libertés publiques, Ekin, 2001, Gisti, 2003, d. 2004).

Sixième séance, 22 octobre 2024

La notion et les caractères du service public

L’expression service public apparaît à la fin du XVIIIe siècle et désigne aussi bien les « attributions régaliennes » de l’État (autrefois la poste, d’après CC 1986, la défense nationale, la justice, la police, les finances) que les secteurs d’intervention économique de la puissance publique. L’emploi de l’expression « besoins du service public » pour justifier un droit administratif de la responsabilité dans TC 1873 Blanco a servi de point de départ pour l’École dite du service public (Duguit, Jèze, Bonnard, Rolland). Comprise dans un sens matériel ou fonctionnel plutôt qu’organique (CE 1903, Terrier sur les vipères et CE 1961, Magnier sur les hannetons), celui d’une activité d’intérêt général prise en charge ou déléguée par une personne publique, la notion a paru centrale dans le droit administratif jusqu’à sa « crise » annoncée dans les années 1970 et 1980. Désignés dans les traités européens comme des services d’intérêt économique général, les services publics français sont soumis à la concurrence dans certaines limites (CJCE 1993, Paul Corbeau et CJCE 1997, Commission c. France). 

Parmi les personnes morales, les personnes publiques se distinguent par leur mode de création (par la loi ou le règlement), par l’absence de liberté d’adhésion et par des prérogatives de puissance publique (incluant l’absence de voies d’exécution contre elles). Il s’agit de l’État, en tant que personne morale unifiant les administrations (mais la gestion du domaine privé ne relève pas d’un service public), des collectivités territoriales (communes, départements, régions depuis une loi de 1982) et des établissements publics (distingués à partir de 1862 des établissements d’utilité publique comme les chambres de notaires, le CNB, les fédérations départementales de pêche), nationaux ou non (les établissements de coopération intercommunale, syndicats de communes…)

Les établissements publics administratifs (EPA) forment une première catégorie dans laquelle se rangent les hôpitaux (à but social), les universités (EPSC), le CNRS (EPST), les grandes écoles (dont l’ENS, EPSCP) ou les musées (établiss. à caractère culturel). Les établissements à but industriel et commercial (TC 1921, Bac d’Eloka) supposent la réunion de trois critères cumulatifs : objet du service, des ressources propres financées par les usagers, un mode de gestion comparable au privé (CE 1956, Union des industries aéronautiques). Réduits en nombre depuis les privatisations (France Telecom, Air France, EDF, GDF sont passés du statut d’EPIC à celui de SA, la SNCF depuis 2002), les EPIC correspondent au statut de la RATP, de l’Opéra, de la RMN, du CEA ou du CNES. Il existe des EPA gérant un « spic » (les chambres de commerce avec les ports maritimes) et des EPIC gérant un « spa » (l’ONF). La Poste est une SA à capitaux publics (2010). Alors que les associations syndicales de propriétaires sont des établissements publics (TC 1889 Association syndicale du canal de Gignac), la Banque de France ne l’est pas (2000). Les missions de service public peuvent être confiées à des personnes de droit privé selon les modes classiques de la concession ou de l’affermage ou plus généralement de la délégation de service public (ex. des caisses primaires de Sécurité sociale) organisée (en fonction des règles du droit européen sur l’ouverture des marchés publics et les procédures d’offres concurrentes) par des lois de 1992, 1993 et 2001.

Dans les années 1930, le publiciste Rolland parle des « lois du service public » pour : 1) le principe de continuité du service public (limite à l’exercice du droit de grève, CC 79) ; 2) le principe d’adaptabilité du service public ; 3) le principe d’égalité devant un service public, qui prohibe toute discrimination injustifiée (CE 1974 Denoyez et Chorques sur le bac de l’île de Ré, tarif particulier validé par une loi de 1979 et une décision du Conseil constitutionnel ; CE 1997 Commune de Gennevilliers sur les tarifs d’un conservatoire de musique ; CE 1999 Compagnie nationale Air France sur une modulation excessive des redevances d’atterrissage). On peut y ajouter le principe de neutralité CGFP art. L. 121-1 et 2, comprenant notamment le principe de laïcité (avis du CE 1989, CE 92 Kherouaa, CE 95 Koen et Consistoire central israélite de France  ; loi du 15 mars 2004 ; sur les personnels de la fonction publique CE 2000, Mlle Marteau, CAA Lyon 2003, Mme Ben Abdallah).

L’organisation du service public de la justice relève du droit administratif (TC 1952 Préfet de la Guyane), à la différence de son fonctionnement et des blocs de compétence reconnus à l’ordre judiciaire (état des personnes, nationalité, propriété, accidents de la circulation depuis la loi du 31 décembre 1957). Le juge civil peut seulement interpréter les actes réglementaires (TC 1923 Septfonds), alors que le juge pénal peut interpréter les actes réglementaires et individuels, et écarter les règlements et actes individuels illégaux (TC 1951 Avranches et Desmarets, art. 111.5 du Code pénal). 

 

Septième séance, 5 novembre 2924

Les décisions administratives et leurs modifications

Les actes de l’administration au sens large ou ceux soumis au droit administratif au sens plus étroit peuvent être classés de diverses manières. En dehors de l’opposition entre actes unilatéraux et contrats, la distinction entre actes réglementaires, actes individuels (s’adressant à des personnes dénommées, ce qui n’empêche pas une dimension collective) et « décisions d’espèce » (l’application d’une règle générale de droit à des personnes, mais sans effet personnel, par exemple la convocation des électeurs ou la déclaration d’utilité publique pour le tracé d’une autoroute CE 1974, Adam). Alors que les actes réglementaires et les décisions d’espèce ont seulement des « effets de droit » (les administrés ont droit à leur application), certains actes individuels (nomination, promotion, autorisation, permis) sont créateurs de droits acquis.

Pour être susceptible d’un recours, un acte administratif doit, d’abord être un « acte décisoire » qui maintient ou modifie l’ordre juridique et « fait grief » au requérant.

S’agissant des circulaires, la distinction entre c. interprétatives et c. réglementaires (CE 54, Notre Dame du Kreisker) a cédé la place à l’idée de c. impératives (CE 2002, Mme Duvignères). Les directives sont, elles, non susceptibles de recours, mais opposables (CE 1970 Crédit Foncier de France, il en est tenu compte dans un recours). L’arrêt Gisti de 2020 a étendu les critères de recevabilité à tous les documents ayant des effets notables.

Les catégories d’actes qui échappent au rep sont devenues résiduelles : mesures d’ordre intérieur (CE 1995, Hardouin et Marie) ou actes de gouvernement (CE 1875, Prince Napoléon ; CE 62, Rubin de Servens ; CE 75, Paris de la Bollardière ; CE 1998, Mégret pour la mission d’un parlem, CE 95 et 2003 Greenpeace sur les relations internationales).

L’édiction des actes est caractérisé, en droit français, par l’absence de formalisme : l’acte décisoire peut être écrit, oral, tacite ou implicite (question de l’interprétation du silence). Peut être requis préalablement une consultation facultative, obligatoire, un avis conforme.

La loi du 11 juillet 1979 a rendu obligatoire la motivation des décisions individuelles défavorables concernant les administrés (mesure de police, sanction, autorisation avec des sujétions, retrait ou abrogation d’une décision modificative de droits, opposition d’une prescription, refus d’un avantage auquel l’administré a en principe droit) : il faut un énoncé écrit des considérations de fait et de droit (CE 1981 Belasri, L 211-5 CRPA).

Les actes réglementaires sont publiés ou affichés, les actes individuels sont notifiés.

Le principe du contradictoire (forme du PGD du respect des droits de la défense) a été précisé par le décret du 28 novembre 1983 (sur les mesures individuelles de police, sans urgence, CE 1987 FANE) et la loi DCRA du 12 avril 2000 (domaine de la loi de 1979, observations écrites, éventuellement orales, silence de 2 mois = décision implicite, règle modifiée par la loi du 12 novembre 2013 avec des exceptions et une application en 2015 dans le Code des Rapports entre le Public et l’Administration, CRPA)

La modification des actes administratifs est facile pour les actes réglementaires (pas de droits acquis) et même requise en cas de circonstances nouvelles de fait et de droit (CE 1930 Despujol). Malgré le délai de droit commun de 2 mois pour le rep, il y a ainsi une exception d’illégalité perpétuelle consacrée par le décret du 28 novembre 1983 (règle considérée par un PGD par CE 89 Alitalia). Le requérant qui invoque une circonstance nouvelle demande à l’administration de modifier l’acte et en cas de rejet (souvent implicite) attaque dans les deux mois cette nouvelle décision administrative. L’arrêt CE 1990 Association Les Verts sur une décision d’espèce (découpage électoral des cantons, uniquement changement de circonstances) illustre ce mécanisme malgré le rejet au fond.

Pour les actes individuels, il faut distinguer : 1) les actes non créateurs de droit, l’abrogation pour l’avenir est toujours possible, le retrait avec effet rétroactif est possible pour illégalité, selon certains pour opportunité ;

2) les actes individuels créateurs de droit, l’abrogation et le retrait ne sont possibles que pour illégalité (sauf si la loi l’autorise ou si les bénéficiaires sollicitent le retrait) ; la question se pose alors du délai du retrait : dans le délai du rep (CE 1922, Dame Cachet) avec les problèmes en cas d’absence de publicité pour les tiers (CE 66, Ville de Bagneux) ou depuis l’arrêt CE 2001 Ternon dans le délai maximum de 4 mois de l’adoption des décisions explicites et, pour les décisions implicites selon le CRPA, art. L 242-1.

Huitième séance, 12 novembre 2024

LA POLICE ADMINISTRATIVE (1)

La notion de police a une histoire importante pour la formation d’un droit administratif aux Temps Modernes (Delamare, 1705). Le mot peut être pris dans différents sens en dehors de la réalité organique des « services de police ». En droit administratif, il est important (pour des raisons de compétence) de distinguer la police judiciaire et la police administrative (même si des services sont compétents pour ces deux types de police).

La distinction repose sur la finalité recherchée (poursuite après une infraction ou action préventive avec le standard de l’ordre public) plutôt que sur un critère organique (CE 1951 Consorts Baud, opération de police pour appréhender des malfaiteurs ; TC 51 Noualek, action pendant la guerre en dehors de tout ordre judiciaire ; TC 78 Société “ Le Profil ” carence de la prévention à l’origine de la responsabilité administrative)

La police administrative est l’ensemble des actions de l’administration, notamment sous forme d’actes décisoires, imposant des restrictions aux libertés publiques.

Les autorités de police sont le Premier Ministre (CE 1919 Labonne ; CE 1978 Association dite Comité pour léguer l’esprit de la Résistance pour l’actualisation de cette jurisprudence), le ministre de l’Intérieur, les préfets, les maires (L. 2212-2 CGCT)

La police générale et celle l’ordre extérieur (« dans la rue »), qui ne prend pas en compte les atteintes à la moralité sans trouble extérieur (CE 97 Commune d’Arcueil), mais peut impliquer la protection de la dignité humaine (CE 95 Morsang-sur-Orge).

Il existe des polices spéciales relevant de certaines autorités (Ministère de l’Intérieur, préfets) : des étrangers, des gens du voyage, de la chasse, des établissements dangereux...

Une autorité inférieure ne peut que compléter (et durcir) les mesures générales (CE 1902 Commune de Néris-Les-Bains, exemple des limitations de vitesse). L’autorité générale peut pallier l’absence de mesures de police spéciale (cinéma, contra téléphonie mobile)

Parce qu’elles apportent des limites aux libertés publiques les mesures de police doivent être légalement nécessaires et peuvent faire l’objet d’un contrôle maximum. Le juge administratif montre une forme de suspicion à l’égard des mesures générales d’interdiction et préfère des mesures plus adaptées aux circonstances. Cette jurisprudence s’est d’abord développée en matière d’interdiction de réunions publiques : CE 1933 Benjamin (proportionnalité) ; CE 2011, ENS  ; CE 2014, Dieudonné.

Elle s’est appliquée plus récemment en matière de couvre-feu pour les mineurs (CE 2001 Préfet du Loiret ; décisions en référé, loi LOPPSI 2 et Code la sécurité intérieure), d’interdiction des artistes de rue, de fermeture d’établissement de divertissement, ou des manifestations à caractère politique (CE 84 Guez ; CE 87 Guyot ; CE 97 Association des Tibétains de Paris). Ces restrictions aux libertés sont soumises au triple test de proportionnalité (DC 2008 et CE 2011 Association pour la promotion de l’image). Les manifestations sont soumises à déclaration préalable (loi 10 avril 2019). La jurisprudence CE 1909 Abbé Olivier reste le principe pour les manifestations religieuses ; les “ raves ” ont fait l’objet d’une intervention spécifique de la loi en 2001. Ainsi, selon les espèces, le juge administratif passe du contrôle minimum (pouvoir discrétionnaire), à l’erreur manifeste d’appréciation (CE 1973 Librairie François Maspero), voire au contrôle maximum (police municipale) des mesures de police. Le juge peut également sanctionner le détournement de pouvoir, le non-respect du principe d’égalité ou l’abstention illégale, CE 1983 Veuve Lefebvre Les contraintes pesant sur l’administration sont moindres en vertu de la théorie des circonstances exceptionnelles : CE 1918 Heyriès et 1919 Dames Dol/Laurent. Exemple du visa ministériel pour le cinéma (ordonnance du 3 juillet 1945, code de l’industrie cinématographique de 1956, d. 17 décembre 2003 sur la commission)

Le Ministre de la Culture prend une décision, après avis simple d’une commission, qui est l’objet d’un contrôle normal du juge administratif : CE 1975 Société Rome-Paris (interdiction injustifiée de La Religieuse d’après Diderot) ; CE 2000 Association “ Promouvoir ” (Baise moi, d. 12 juillet 2001) et 30 septembre 2015 (Love).

Il peut être tenu compte d’un procès en cours (CE 1979, Chabrol, Noces Rouges)

Dans chaque commune où ont lieu des projections les maires ont le pouvoir de les interdire s’il y a un risque de troubles matériels ou des circonstances locales (sensibilité morale) qui font craindre une atteinte à l’ordre public : CE 1959 Société des films Lutétia

Neuvième séance, 19 novembre 2024

La police administrative (2) : la police des étrangers

Peu de dispositions s’appliquaient au XIXe siècle aux mesures d’éloignement du territoire des étrangers : les articles 120 (sur les arrestations par ordre du gouvernement) et 272 (sur les vagabonds) du Code pénal, puis les lois de 1832 et 1849 sur l’expulsion. Des développements plus conséquents interviennent en 1917 (carte d’identité d’étranger), en 1927 (loi sur l’extradition) et en 1938 (procédure contradictoire pour l’expulsion). Après la Libération, l’ordonnance du 2 novembre 1945 a été le texte de référence, modifié à de très nombreuses reprises surtout depuis les années 1980 et transformée en 2004 en Code de l’Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d’Asile (CESEDA). Les modifications résultant des lois « Sarkozy I » (26 novembre 2003), « Sarkozy II » (24 juillet 2006), « Hortefeux » (20 novembre 2007, après DC), 16 juin 2011, 31 déc. 2012, 7 mars 2016 (carte pluriannuelle, OQTF avec délai), 10 septembre 2018, 26 janvier 2024 .

L’entrée des étrangers en France est liée aux accords de Schengen depuis 1985-1997.

Pour les ressortissants de nombreux pays il faut un visa délivré par une autorité consulaire ; le refus a besoin d’être motivé depuis la loi de 2016 ; un recours préalable doit être porté devant un comité qui donne un avis (recommandant ou non l’octroi du visa) ; le juge administratif procède à un contrôle de l’erreur manifeste. Le court séjour est lié au visa de 3 mois max. (tourisme, professionnel, visite familiale). Les ressortissants de l’UE obtiennent (sauf raisons d’ordre public) une carte de séjour temporaire pour 1 ou 10 ans. Les autres étrangers ont à demander au préfet un visa de long séjour ou une carte (1 an), suivie éventuellement d’une carte pluriannuelle (4 ans). Le préfet accorde ou non (avis simple d’une commission du titre de séjour) la carte (avec contrôle normal du juge, CE 2003 M. X.) avec mention du type de séjour. Les cas de retrait sont nombreux, la loi de 2006 a supprimé la régularisation après 10 ans. Un contrat d’intégration républicaine est signé par l’étranger, « l’intégration républicaine à la société française » est contrôlée pour l’octroi (après 5 ans minimum) d’une carte de résident (pour 10 ans). C’est un droit pour certaines catégories d’étrangers, par exemple pour les conjoints de Français après 3 ans de mariage (4 pour la naturalisation). Protection universelle maladie et AME.

L’asile est demandé par les réfugiés fuyant un pays dont le gouvernement autoritaire les persécute (asile « conventionnel », Genève 1951 et loi de 1952), combattant pour la liberté (asile « constitutionnel ») ou menacés de mauvais traitements (protection subsidiaire, 4 ans), il est accordé par l’OFPRA (guichet unique 2003). Depuis CEDH 26 avril 2007 Gebremedhin c. France et la loi « Hortefeux », le demandeur d’asile doit être en mesure de contester devant le TA un refus d’entrée (demande manifestement infondée). Après examen par l’OFPRA, un refus peut être contesté devant la Cour nationale du droit d’asile (ex-commission des recours) et en cassation devant le CE.

Le refoulement est le refus d’entrée écrit et motivé signifié à un étranger sans papiers arrivant en France. Cet étranger peut demander à bénéficier d’un jour franc pour contester. Depuis 1992, les étrangers refoulés peuvent être maintenus dans une zone d’attente (2 fois 48h, puis 2x8jours par décision du JLD, le rep n’est pas suspensif).

L’obligation de quitter le territoire français est pris par le préfet en cas d’entrée irrégulière, d’absence de titre de séjour, d’interdiction judiciaire. Certaines catégories, comme les mineurs, sont protégées. Motivé, notifié par écrit ou oral, l’OQTF est assorti d’un délai d’exécution volontaire (recours, 15 ou 30 jours) ou non (recours, 48h). Le juge prend en compte le respect de la vie familiale (art.8 CEDH, CE 91, Babas).

L’expulsion est décidée, en règle générale, par le préfet pour menace grave à l’ordre public ; il y a des catégories protégées (mineurs), le contrôle du juge est normal sur l’ordre public (CE 2014 M. B.A.), maximal sur le respect de l’art. 8 (CE 91 Belgacem). Il porte aussi sur la procédure (bulletin motivé, audition par une commission avec avis), qui est simplifiée en cas d’urgence absolue ou pour atteinte aux intérêts fondamentaux de l’État, ou pour incitation à la haine (décision motivée du ministre de l’Intérieur).
L’interdiction du territoire français, prononcée par le juge pénal et une des formes de la « double peine » (avec l’expulsion « ordinaire » des condamnés « non protégés »).

Dans l’attente de l’organisation du retour (dans un pays désigné par une décision administrative détachable), l’étranger est assigné à résidence ou en rétention administrative (par le préfet, puis par le JLD/contentieux, total max. 90 jours).

L’extradition fait suite à la demande d’un État étranger poursuivant judiciairement un de ses nationaux présent en France. Elle est organisée par la loi de 1927, les conventions européennes de 1957 et 1977, le mandat européen et de nombreux traités. Elle suppose un avis favorable de la chambre de l’instruction (contrôle par la Cour de cassation depuis 1984), puis (pour continuer) un décret du Président de la République, motivé et susceptible d’un recours devant le CE (CE 77 Astudillo Calleja, CE 1996, Koné).

Dizième séance, 10 décembre 2024

Les contrats administratifs

Les administrations (plus exactement les personnes morales de droit public) contractent avec les personnes privées pour la gestion privée de leur domaine, des contrats domaniaux, des travaux publics sur le domaine public, la fourniture de matières premières ou de services, pour l’embauche d’agents contractuels, des partenariats public/privé. Tous ces contrats ne relèvent pas du droit administratif et il est nécessaire d’avoir des critères de détermination du caractère administratif de chaque contrat.

Le premier critère auquel l’on songe est le critère organique. De même qu’un contrat entre deux personnes privées est présumé relever du droit privé, un contrat entre deux personnes publiques est présumé relever du droit administratif (TC 1983, Union des assurances de Paris ; CE 1988 Ministre chargé du plan et de l’aménagement du territoire sur les contrats d’urbanisme État-Région), il faut cependant tenir compte de l’exception des contrats entre les Epic et des collectivités territoriales agissant comme usager.

Du côté des critères matériels, certains contrats sont administratifs par détermination de la loi. Il s’agit traditionnellement des contrats relatifs aux travaux publics (loi du 28 pluviôse an VIII pour l’État et les collectivités territoriales, extension aux assemblées par CE 1999 Président de l’Assemblée Nationale, CG3P). Les marchés publics ont fait l’objet d’une codification depuis 1964, puis du Code de la commande publique (2019) ; depuis la loi « Murcef » du 11/12/ 2001 tous les contrats passés en application des règles de ce Code sont administratifs. C’est le cas aussi pour les PPP depuis 2004. Deux critères jurisprudentiels ont été développés par le Conseil d’État. Celui de « l’exécution même du service public » (CE 1903 Terrier, CE 1910 Thérond sur la mise en fourrières des chiens errants à Montpellier), a été reconnu par l’arrêt Bertin en 1956 (à propos de l’accueil des réfugiés par un accord verbal). Il s’applique notamment dans les cas de délégation d’un service public, d’embauche d’un contractuel dans un SPA (depuis TC 1996 Berkani) et des contrats conclus avec des entreprises pour les attirer dans une commune (CE 1974, Société La Maison des Isolants de France). Le critère des clauses exorbitantes du droit commun (CE 1912 Société des granits porphyroïdes des Vosges) s’applique en cas de présence d’une (TC 1998 Agent judiciaire du Trésor) ou de plusieurs clauses (comme le renvoi à un cahier des charges TC 1999 UGAP, ce cahier pouvant avoir des clauses « réglementaires » CE 1906 Syndicat des propriétaires quartier Croix-de-Seguey Tivoli) qui ne sont pas habituelles dans les contrats de droit privé (TC 1999 Commune de Boursip pour l’application à un contrat entre deux personnes publiques sur la gestion de leur domaine privé). CE 1973 Société d’exploitation de la rivière du Sant (régime exorbitant) et TC 2014 SA AXA France Iard (clause exorbitante sans intérêt général).

Le régime des contrats administratifs varie d’un contrat à l’autre, avec des différences entre les marchés de travaux ou de services (CE 1983 Sarl Comexp pour le traitement des ordures) et les concessions (transfert des risques en contrepartie des revenus de l’exploitation et éventuellement d’un prix, concession, affermage, régie intéressée).

Il existe néanmoins des prérogatives de l’administration « en vertu des règles générales relatives aux contrats administratifs » (CE 1983, Union des transports publics) : droit d’émettre des ordres et d’en contrôler l’exécution, recours à des sanctions pécuniaires (pénalités même sans clause), coercitives (mise en régie, sous séquestre, substitution d’un tiers aux frais du contractant) et résolutoires (la déchéance du concessionnaire était réservée au juge administratif pour une faute grave). L’administration a de plus le droit de modifier le contrat ou d’y mettre fin selon les besoins du service (CE 1902 Gaz de Déville-les-Rouen, CE 1907 Delplanque, CE 1975 Société du port de pêche de Lorient) contre indemnité. Le contractant privé ne peut invoquer l’exception d’inexécution, mais en cas de bouleversement de l’économie du contrat par un événement exceptionnel, il a droit d’invoquer l’imprévision et de demander une aide financière (CE 1916 Cie générale d’éclairage de Bordeaux, CE 1949 Ville d’Elbeuf sur l’augmentation des tarifs par l’État posant la question du « fait du prince », CE 1982 Propétrol) ou la résiliation si l’équilibre ne peut être rétabli (CE 1932 Cie des tramways de Cherbourg, CE 2000 Commune de Staffelfelden sur la fourniture d’eau suite à une pollution industrielle). Le recours du contractant dans le cadre du plein contentieux permet l’obtention d’indemnités ou peut donner lieu (depuis une loi de 1995) à des injonctions (résolution ou reprise des relations contractuelles, CE 2009, 2011, 2015 Commune de Béziers). Quand il existe des clauses réglementaires ou des « actes détachables » dans le contrat, les tiers intéressés pouvaient obtenir leur annulation par un rep (CE 1905 Martin, CE 1996 Cayzeele sur l’enlèvement des ordures ménagères, fin avec CE 2014 Département du Tarn et Garonne). Il existe des procédures de référé (pré-contractuel 1993, contractuel 2007 + CE 2007 Société Tropic).

Onzième et douzième séances, 17 décembre 2024

 

La responsabilité administrative

Les développements de cette partie du droit administratif commencent, après la suppression de la garantie des fonctionnaires en 1870 (art. 75 de la constitution de l’an VIII), par la fameuse décision du Tribunal des conflits, Blanco (1873) décidant que la responsabilité de l’État (pour un accident subi par un enfant dans une manufacture de tabacs) n’était pas générale et ne relevait pas de l’article 1382 du Code civil.

Quelques mois après, dans l’affaire Pelletier (une saisie de journal décidée par un général pendant l’état de siège), le Tribunal des conflits fonde la répartition des compétences entre l’ordre judiciaire et l’ordre administratif sur la distinction entre la « faute personnelle » (l’homme « avec ses faiblesses, ses passions, ses imprudences » dira Laferrière dans ses conclusions sur TC 1877 Laumonnier-Carriol) et la faute de service.

Puis, en 1911, dans l’arrêt Anguet, le Conseil d’État admet (dans une affaire de fermeture d’un bureau de poste avec des brutalités) la possibilité d’un cumul des fautes et des responsabilités, laissant dans ce cas le choix (favorable à la juridiction administrative, étant donné la solvabilité des personnes publiques) de la juridiction à la victime. 

Dans l’arrêt Époux Lemonnier (1918, concl. L. Blum), les personnes publiques sont déclarées garantes de la faute personnelle liée au service, commise dans le service ou « non dépourvue de lien avec le service » (confirmé par CE 1949 Dlle Mimeur). Il reste aux deux arrêts de 1951, Laruelle et Delville, à fixer les règles de l’action récursoire de l’administration contre ses agents ou la possibilité de partage des responsabilités.

La faute personnelle a ainsi un caractère résiduel, quand elle est dépourvue de tout lien avec le service (sur l’usage des armes de service CE 1973 Sadoudi, pas de faute personnelle dans un accident provoqué par le nettoyage d’une arme à domicile ; CE 1954 Dame Veuve Litlzer et CE 1975 Pothier sur l’usage d’armes pour des crimes passionnels). Elle résulte d’une infraction pénale (, TC 1987 Kessler) ou d’une incurie notoire (CE 1999 Moine), avec souvent partage des responsabilités (CE 2002 Papon).

Le préjudice doit être réel et certain (avec dans certains cas l’admission de la perte d’une chance, par exemple de titularisation). Le préjudice moral est indemnisé depuis CE 1958 Commune de Grigny pour la douleur physique et CE 1961 Letisserand pour la douleur morale. Il peut se présenter sous la forme d’un préjudice par ricochet pour les conjoints et les concubins depuis CE 1978 Dame Veuve Muësser (équivalent de l’affaire Dangereux).

Le préjudice doit avoir sa cause adéquate dans l’action de l’administration, les causes d’exonération étant la force majeure, le fait d’un tiers ou la faute de la victime. 

La responsabilité administrative repose, le plus souvent, sur une faute, consistant dans une illégalité et/ou une carence (ex. CE 88 Giraud pour l’absence de professeurs ; TA Paris 2021 Oxfam pour les GES). Cette faute doit être prouvée par la victime, sauf dans certains cas de présomption de faute : pour les dommages provoqués par les ouvrages publics (défaillance dans l’entretien), ceux résultant d’hospitalisations sans risques (CE 1988 Cohen) ou causés par des pupilles de l’État (CE 1990 Ingremeau). L’exigence de la faute lourde, requise dans certains cas depuis CE 1905 Tomaso Grecco est en recul : elle a été remplacée par la faute simple pour la responsabilité hospitalière (CE 1992, Epoux V.), le secours médical d’urgence (CE 1997 Theux), le sauvetage en mer (CE 1998 Améon) et la lutte contre les incendies (CE 1998 Commune de Hannappes). Elle oscille entre faute simple et faute lourde pour la police administrative (CE 1999, Société AGF puis CE 2018 La Vie Dejean), la fiscalité (CE 1990 Bourgeois puis CE 2011 Krupa), les activités de contrôle ou de tutelle (CE 2000 Commune de Saint-Florent). Reste sous le régime de la faute lourde la responsabilité pour les services judiciaires (Cass. 1956 Giry, loi de 1972, contra CE 2002 Magiera, CE 2008 Epoux Zaouiya pour les prisons).

Les cas de responsabilité sans faute apparaissent, à propos des accidents du travail, avec l’arrêt CE 1895 Cames. Ils concernent les activités risquées (CE 1919 Regnault-Desroziers), incluant l’usage des armes à feu blessant des tiers (CE 1949 Consorts Lecomte), la couverture des risques pris par les collaborateurs occasionnels du service public (CE 1977 Commune de Coggia), les ouvrages publics dangereux (CE 1973 Dalleau), l’utilisation de produits sanguins (CE 1995 Consorts N’Guyen), l’application des peines (TC 2000 Ministre de la Justice), les établissements d’éducation surveillée et l’aide sociale à l’enfance (CE 2005 Gie Axa courtage). L’utilisation d’une thérapeutique nouvelle ou la présence d’un aléa thérapeutique, rattaché au risque par CE 1993 Bianchi, relève depuis la loi du 4 mars 2002 de l’ONIAM (avec des plafonds d’indemnisation).

Enfin, dans des circonstances rares, la responsabilité de l’État résulte d’une rupture de l’égalité devant les charges publiques : préjudice anormal et spécial venant de l’inexécution d’une décision de justice (CE 1923 Couitéas), d’une loi (CE 1938 Société La Fleurette, CE 2005 Société coopérative agricole Ax’ion et CE 2007 Gardelieu). 

Les critères de détermination de la compétence administrative (et judiciaire)

Les blocs de compétence en faveur de la juridiction judiciaire : loi de 1957 ; TC 1952 Préfet de la Guyane ; TC 23 Septfonds ; TC 1951 Avranches et Desmarets. Rappel de DC 1987 Conseil de la concurrence.

La jurisprudence sur la voie de fait (TC 1935, Action française, TC 2013, Bergoend)

Plus de compétence administrative présumée en haut et à gauche du tableau.

Ainsi les actes unilatéraux des SPA sont présumés administratifs, sauf les actes individuels relevant de la gestion du domaine privé (CE 1996 Formery : refus à un voisin d’un accès au domaine privé). Les contrats des SPA sont administratifs quand ils participent à l’exécution même du service, comportent une (ou des) clauses exorbitantes ou par détermination de la loi (TC 96 Berkani sur les cuisiniers du CROUS ; CE 1912 Société des Granits porphyroïdes des Vosges sur la gestion privée, conclusions Blum).

La responsabilité des SPA est administrative pour faute de service à l’égard des agents, usagers et tiers (contra chute d’un arbre du domaine privé, CE 1975 ONF).

Pour les SPIC assurés par une personne publique, la compétence administrative porte sur les actes réglementaires concernant les usagers et les agents (CE 1989 Association études et consommation, TC 98 Syndicat Français de l’Express International), la compétence judiciaire portant sur les actes individuels concernant les usagers (CE 1988 SCI La Colline pour un raccordement à l’eau) et les agents (CE 1952 Boglione). Les contrats passés par ces SPIC sont adm. s’ils relèvent d’un régime exorbitant ou concernent les agents de direction du service (à l’opposé pour le usagers CE 1961 Companon-Rey). Pour la responsabilité, seuls relèvent de la compétence adm. les dommages travaux publics.

Pour les SPA assurés par une personne privée, compétence adm. pour les actes réglementaires (CE 1942 Montpeurt et CE 1943 Bouguen) ou individuels avec prérogative de puissance publique et pour les dommages travaux publics ou résultant de la mise en œuvre d’une prérogative de puissance publique (CE 1983 Sté Bureau Veritas).

Pour les SPIC assurés par une personne privée, compétence adm. pour les actes réglementaires d’organisation du service (TC 1968, Epoux Barbier), et probablement pour les dommages de travaux publics (mais non à l’égard des usagers ou tiers TC 1966 Veuve Canasse pour la SNCF à comparer à CE 1961 Veuve Agnesi sur un branchement au réseau d’eau et TC 1980 Mme Girinon sur un établissement hospitalier privé). Exemples des casinos et du service extérieur des pompes funébres.